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Le blog de Vita/Orlando
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20 janvier 2010

Il paraît que j'ai mauvais genre...

Il paraît que j'ai mauvais genre...


 

 

 

« Being fem, for me, is a conscious way to be a female -it does not mean merely accepting and existing within the preconstructed boundaries of « natural » womanhood. Daily I construct it and remove it, live it totally, betray it, reconstruct it from dust and fear, find it again »

 

Amber Hollibaugh, My dangerous desires.

Le genre ?

 

Le concept de genre est, malgré son omniprésence actuelle dans les champs intellectuels, politiques, universitaires et militants, difficile à définir et à borner. Son équivoque suscite des incompréhensions, des contresens et des joutes parmi ceux et celles qui le manipulent. Ce concept est né dans le contexte universitaire – sociologique surtout – américain (gender) des années 1970. Son acception la plus courante désigne les attributs vestimentaires, les comportements, les normes, attribués aux individus selon leur appartenance, bipolaire et mutuellement exclusives, au genre masculin ou au genre féminin. Ces caractéristiques relèveraient de l'éducation, du contexte historique et géographique, en somme du social, par opposition à la biologie dont dépendraient les hormones dites sexuelles, l'anatomie et le génome qui feraient figure d'indépassables, de noyau dur de la différence des sexes.

À ces deux genres sont attribués une identité et une orientation sexuelle, en l'occurrence au genre masculin correspondrait un corps mâle et une attirance sexuelle pour les femmes, qui, quant à elles sont supposées présenter un genre féminin et un corps femelle, accompagnés d'une attirance sexuelle pour les hommes.

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©FotoVictor Dourdan, modèle Vita/Orlando, 2009.

Parce que les lesbiennes ne sont pas des femmes

 

Le grand apport de Monique Wittig fut de caractériser le genre en tant que dispositif d'hétérosexualisation des individus, afin de questionner les catégories d'homme et de femme. Cette faille dans le système fut permise par la révélation d'une catégorie extérieure à l'alternative H/F, « transfuge à [la] classe » des femmes, soit les lesbiennes puisque : « la-femme n'a de sens que dans le système de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels. Les lesbiennes ne sont pas des femmes » (Wittig,2005,p.61). On peut donc affirmer que le genre (entendu au sens de système dualiste et déterminant de classification des individus selon leur apparence physique) fonde la société en tant qu'hétérosexuelle.

La théoricienne pourfend donc le dualisme du concept de genre en en révélant son substrat hétérosexuel et donc politique. Ainsi, « toute différence fondamentale (y compris la différence sexuelle) entre des catégories d'individus, écrit Wittig, toute différence qui se constitue en concepts d'opposition est une différence d'ordre politique, économique et idéologique » (Wittig, 2005, p.82). Dès lors, le genre peut être pensé en tant que dispositif arbitraire de classification et de régulation des individus en deux classes de sexe : « nous avons été forcées dans nos corps et dans notre pensée de correspondre, trait pour trait, avec  l'idée de nature qui a été établie pour nous »3, écrit-elle (Wittig, 2005, p.43-44).

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©François Benveniste, modèle Vita/Orlando, 2009.

Insoumission et irrévérence à l'ordre du genre

 

Le genre informe et réifie en permanence le masculin et le féminin comme étant deux réalités antithétiques et fait office de grille de lecture normative de l'individualité. En cela il semble qu'il n'y ait pas d'existence sociale possible en dehors de ce qui se pense comme pôles, comme bornes de la subjectivité. Michel Foucault écrit « L'anormal n'est pas de nature différente du normal. La norme, ou l'espace normatif, n'a pas d'en dehors. La norme intègre tout ce qui serait susceptible de la dépasser - rien, personne, quelle que soit la différence exposée, ne peut jamais prétendre être extérieure ou posséder une altérité qui le rende effectivement autre ».

Dès lors, nous sommes condamné/e/s à composer avec la norme, que ce soit pour s'y conformer ou pour la transgresser. Judith Butler postule que « le genre est le mécanisme par lequel les notions de masculin et de féminin sont produits et naturalisés, mais ils pourraient très bien être le dispositif par lequel ces termes sont déconstruits et dénaturalisés » (Butler, 2006, p.59). Le concept de performativité développé par Judith Butler est ici essentiel pour comprendre comment la répétition, la « copie sans original », est transgressive. Si donc on admet que les genres n'ont de lien avec le sexe que dans la matrice hétérosexuelle toutes les combinaisons deviennent possibles et, partant ce n'est plus seulement le travestissement qui est subversif mais toute performance consciente de genre.

En cela, plus je m'habille en conformité avec le stéréotype de la féminité, ce qui implique une forte dose d'érotisation de mon corps, plus cela a de sens politiquement. Les réactions, généralement agressives, à mes manifestations outrées de féminité attestent du potentiel de tumulte des jeux sur les codes de genre. Lorsque je me présente ostensiblement de façon hyper-féminine je puise généralement dans les attributs de la mauvaise féminité, celle qui dérange et qui provoque, et je cherche toujours à ne pas reproduire les caractéristiques qui sont attribuées à la féminité en général et que sont : la disponibilité sexuelle, l'attirance pour les hommes, la douceur, la passivité et le soin à autrui.

Wendy Delorme à ce sujet : « Tu es les perruques de Dolly Parton, la voix de Madonna et les seins de Marilyn, tu es celle qui fait frire au barbecue la côte d'Adam avec la pomme en dessert, qui torche le cul de Marie-Madeleine avec le pagne de Jésus, qui ne porte pas le nom du père et ne donnera pas de fils à l'homme. Tu es ta propre fin et tu n'en as pas, tu es l'éternel féminin et son permanent sabotage » (Delorme, 2009).

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                                                                             ©JC Deville, modèle Vita/Orlando, 2009.

***

 

En guise de conclusion les mots de Wendy Delorme, encore :

 

« Tu es Fem. Tu t'es amputée de la deuxième moitié du terme pour ne pas qu'on te confonde avec ton sexe. Peu de gens savent te prononcer sans t'écorcher, pourtant tu n'es pas un néologisme. Il y en avait d'autres avant toi mais longtemps elles n'avaient pas de nom dans votre langue et vous avez eu besoin d'un mot pour exister, alors vous avez pris celui-là, qui a voyagé des Etats-Unis pour vous revenir diminué de longueur, modifié de prononciation et rempli d'une nouvelle force. De femmes fatales vous êtes devenues femmes cyborgs. Ce sont tes sœurs qui ont porté ce titre avant toi et te l'ont transmis avec une tradition. Elles étaient là avant que tu sois née à toi-même, elles ont toutes une histoire similaire à raconter, celle de la haine des autres et de l'amour de soi qu'il faut conquérir de haute lutte, et puis celle de la longueur des cheveux, de la forme des chaussures et de la hauteur du talon, de l'épaisseur ou de l'absence de fard, de la couleur ou de l'absence de vernis à ongles, de la jupe et du pantalon. Battre des cils ou ouvrir sa gueule, cracher par terre ou hausser les sourcils, apprendre la danse classique ou la boxe, ou les deux ; elles ont toutes une histoire de codes à trier et à choisir, de rôles à endosser et de stratégies discursives à adopter en fonction du lieu et du moment de vie, parce que ce qu'elles ont en commun c'est le souci du décodage.

La femme est un mystère pour ceux qui aiment la mystifier, la fem est un rébus pour celles qui savent la décoder ».

 

 

Wendy Delorme, Insurrection en territoire sexuel, Paris, Le Diable vauvert, 2009.


DSC_4996_copie2©JC Deville, modèle Vita/Orlando, 2009.

 

 


 

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